Partout, il existe des zones entre-deux. Ces zones de passage, d'errance, souvent d'attente, de recul ou de hauteur de vue ; entre deux frontières, deux périodes, deux préoccupations, deux plaisirs, deux souffrances, sont universelles. Nous passons nos journées à traverser ces sas spatiotemporels. Les dimanches dans le monde en sont certainement les plus familiers : nous pouvons traverser une journée entière en errance volontaire. 
Cette vie entre-deux semble ne rien produire, s’apparenter à des « temps morts », mais cela reste faux. Si elle ne produit rien de matériel, de tangible, elle apatride les âmes, les pensées et cette absence au monde social nous envahit pour laisser place à une massive, soudaine et éphémère présence au monde sensible. Passé ces moments suspendus, nous retrouvons les significations de tout et à nouveau nous retournons vers nos préoccupations formelles. 
La vie entre-deux est un brouillard bienheureux, où la lumière ne vient plus de dehors mais de l’intérieur. C’est le moment où l'universel et le singulier peut se conjuguer enfin. 
En tant que photographe, j’essaie de présenter les scènes de ces vies dans ce « brouillard » suspendu. Seul le travail sur les basses lumières me le permet, j'estompe volontairement toutes les hautes lumières pour ne laisser apparaître que la lumière du sujet. Rien ne vient d'en haut ou de côté, tout vient du sujet photographié. 
Ainsi, il peut exister par lui-même, quelquefois se raconter par lui-même. Le ciel devient un simple décor et non une source de lumière, les horizons et les alentours également. Je travaille ainsi sur la densité des textures pour affirmer une préhension de la scène que j'ai saisie. 
Puis je re-colorise doucement un premier noir et blanc jusqu'à trouver l'exacte impression des couleurs que j'ai perçue au moment du cliché, en fonction peut-être de mon état d'esprit lors de ce moment observé. Au début, je ne recherche pas la douceur, je décrypte l'intimité dans une scène d’entre-deux que j’ai cru saisir, et c'est en découvrant cette intimité qu'une forme de douceur semble apparaître.

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